|| CANNIBALISMES 2/2 ||

••• J'avoue m'être souvent révolté de ce que la quête de la mélodie parfaite, la recherche harmonique et l'art du développement et de l'orchestration furent un temps 'passés de mode', et que d'une chanson célèbre connue pour la finesse de ses variations internes, le monde finisse par célébrer - avec bien plus de vigueur encore - une version qui n'en aura finalement retenu qu'une partie du refrain, répétée ad nauseam.

••• Mais pourquoi se plaindre, puisqu'outre la seconde seconde vie ainsi accordée à l'oeuvre originale, plus bel hommage ne pouvait lui être rendu, puisqu'un tel usage ne ne célébrait jamais qu'avec plus de solemnité la richesse, la performance et l'inventivité de ce qui fut jadis, par rapport au coller-copier qui peu à peu devenait la règle. Mes premiers sentiments mêlés lors de la transaction concernant l'usage de mon "Mambo" par Massive Attack dans leur "Daydreaming" se sont mus en sentiments de fierté, bien égoïste je l'avoue, depuis qu'avec le recul j'ai compris avoir été l'un des inspirateurs de ce groupe aujourd'hui mythique. Le créateur original y trouvait son compte, au point de ne guère faire usage de son droit moral lorsque l'oeuvre résultante ne faisait, à ses yeux, hommage à la sienne qu'en la démolissant dans ses subtilités et sa vocation premières: la perspective de revenus supplémentaires, ajoutée à la reconnaissance tacite de l'ascendance de l'oeuvre originale sur la copie, suffisaient à emporter son approbation. Non pas que cela ne fut jamais le cas avant l'avènement du hip-hop et du sampling, mais que ces derniers en ont fait une pratique explicite, courante et normale tout à la fois.

••• Et je pourrais continuer longtemps sur le thème du recyclage physique de la musique enregistrée lorsqu'on sait, par exemple:

• Les fabuleux profits que l'industrie du disque a engrangés de la re-commercialisation des catalogues lors de l'avènement du CD, opération qu'elle aurait bien voulu renouveler sur les développements successifs de ce premier support numérique, CD-SACD, DVD-Audio et autres, tout en maintenant les prix à la hausse.

• Ou encore, lorsqu'on observe le phénomène du "remixe" qui, en sa propre terminologie, ne se cache pas de nous resservir le même plat sous prétexte d'un assaisonnement différent.

••• Mais là encore, qui sommes nous les artistes, à cracher sur de telles pratiques dont les ayants-droit concernés ont eux-même tiré - et tireront encore - et reconnaissance et royalties ?

••• Le propos de ces quelques paragraphes ci-dessus n'est pas de me livrer à quelque complaisante auto-critique de la profession, ou d'admettre combien même le plus anti-conformiste des esprits pourrait, avec l'âge, se surprendre à des considérations qu'il serait aisé de qualifier de réactionnaires. Beaucoup plus précis: il est de dire comment, bien avant l'ère de l'internet, nous avons tous, auteurs, artistes, producteurs et éditeurs, contribué à la formation de l'esprit de l'internaute d'aujourd'hui, au travers du regard que nous avons nous même porté sur les créations les uns des autres, sur nos propres créations, et du traitement que, dans une célébration planétaire, nous leur avons fait subir. Il est de dire que ce sentiment de 'gratuité' tant décrié par nous n'est pas né ex-nihilo, telle une génération spontanée de voleurs en puissance, mais qu'il a pris source au confluent de deux facteurs, l'un technologique, l'autre éthique; le premier, issu de la facilité de prédation qu'offre le simple click d'une souris; l'autre issu de notre propre comportement vis à vis de la création: il est difficile à qui n'est pas musicien de faire la différence éthique entre un 'cover' et un sample. Mon propos est de comprendre que, par la cannibalisation des oeuvres à laquelle la société a 'compris' que nous nous sommes livrés, nous avons, indéniablement, inconsciemment peut-être, d'une manière ou d'une autre en tout cas, contribué à dévaloriser nous-même nos créations.

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Sun, Jan 3, 2010

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