|| VOLS ||

••• L'histoire a voulu que je sois qualifié d'un des artistes africains les plus 'piratés' du continent noir - tître peu glorieux - en raison du succès retentissant d'une de mes oeuvres dans les années 80 ("Hi-Life"), succès qui ne m'avait pas rapporté le moindre centime. Pour la simple raison que pas une copie vendue sur le continent n'était légale, ma maison de disque n'y ayant établi aucun système de distribution à cette époque-là.

••• Je ne pouvais légitimement en vouloir à la quasi-totalité de celles et ceux qui avaient acquis le disque à la régulière: en l'achetant. Et l'estime dont je jouis sur tout le continent depuis continue de me faire chaud au coeur. Devrais-je cependant me résoudre à ce que quelque part, en Afrique ou ailleurs, certaines officines probablement connues de bien des gens se soient grassement enrichies, à mes dépens comme à ceux de ma maison de disque et de mon éditeur. Certes, et Dieu merci, j'ai pu connaître bien des satisfactions professionnelles depuis, qui ont su m'empêcher de me figer dans l'amertume. Mais serai-je jamais dédommagé de ce tort ? Ne faudrait-il pas abandonner ? N'y aurait-il pas prescription de toutes façons ?

••• C'est fort de cette expérience que j'en suis venu à réaliser la suggestion que je fais en cette tribune. Les faits: l'internet a engendré le peer-to-peer, soit l'échange direct des oeuvres de l'esprit entre internautes, privant les ayants-droit de ces oeuvres de la juste rémunération normalement issue d'une transaction physique analogue. Mon propos n'est pas d'évaluer la part de cette spoliation dans la 'crise du disque', c'est un débat sans issue. Mais de reconnaître que, selon les termes des législations nationales et internationales actuellement en vigueur, il y a bel et bien spoliation, quelle qu'en soit l'étendue historique et géographique, quelque soit la négation qu'un pseudo-modernisme 'darwiniste' veut y opposer.

••• Je dis bien 'spoliation', je veux dire que, sans me perdre dans les subtilités sémantiques, le droit de propriété normalement exercé sur l'oeuvre de l'esprit par l'ayant-droit, copyright ou droit d'auteur, ce droit se trouve, de facto, spolié de ce que l'usus et l'abusus que constituent respectivement la consommation et l'échange numériques ne leur rapporte guère de fructus: plus prosaïquement, l'oeuvre circule et se consomme sans rémunération pour l'ayant-droit, échappant définitivement à son contrôle. Au regard des lois actuelles, c'est du vol pur et simple, quelque soit le nombre des personnes qui s'en rendent coupables, de quelque manière que l'on tente de nier cette évidence: les oeuvres non-numérisables demeurent soumises à cette logique sans que personne n'y trouve d'objection. Vol il y a donc. Mais les multiples spécificités du numérique n'appellent-elles pas en retour une spécificité de mesures et résolutions pour répondre aux spécificités des conséquences bonnes et mauvaises qui en résultent ?

••• Je dis bien 'au regard des lois actuelles', car c'est probablement ici, dans le champs du légal, que la révolution que j'appelle de mes voeux se devra d'opérer. Pas plus que le libéralisme économique ne suffit à s'auto-réguler, la technologie ne suffira à auto-produire les solutions aux problèmes que son inéluctable progrès n'a de cesse d'engendrer. Seul le cadre de la loi a légitimité à prévenir et contenir, protéger et favoriser. Hélas, et quelque soit le pays, la loi n'a jamais su rattraper son retard face aux progrès, pour les raisons que nous connaissons tous. Ce que je propose aujourd'hui, ce n'est plus de tenter de rattraper en s'adaptant bon gré mal gré aux pentes vertigineuses des accomplissements technologiques, mais au contraire de les contourner en se plaçant hors de leur champ direct, hors du circuit de leurs pentes, en amont de leurs imprévisibles méandres. Et pour cela, il faudra bien une révolution des esprits.

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Sun, Jan 3, 2010

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