|| CANNIBALISMES 1/2 ||

••• J'ai longtemps été de ceux qui ont déploré que l'échantillonnage numérique, loin de déboucher sur l'avènement et le règne de sonorités nouvelles, inventives et inédites tant rêvées, se soit finalement et essentiellement contenté de permettre à certains de 'créer' leur musique en ultilisant la musique préalablement écrite et enregistrée par d'autres (les 'anciens'), et à faire du vinyl une sorte de 'matière première' à leur création, un amas de glaise informe en quelque sorte, qui ne demandait qu'à rencontrer enfin le génie qui les révèlerait, jetant aux oubliettes les armées d'artistes qui s'étaient jadis usés à le produire, jetant aux oubliettes ce que ces oeuvres représentaient pour ceux qui les avaient connues en leur temps. Aussi créatif qu'il fut dès son avènement, le hip-hop trouvait son essort sur une bien réductrice destinée pour cet indubitable progrès, l'échantillonnage numérique (ou sampling), bien différente en tout cas de celle que la génération des pionniers, dont je fus, avaient imaginé. Je ne comprenais pas encore que, dès sa conception, le sampling portait en lui les germes de cette destinée.

••• Car qui étais-je moi, à les critiquer lorsque j'étais moi-même souvent amené à utiliser des samples de cordes ou de batterie, non pour inventer de nouveaux sons, mais pour émuler de vraies cordes, une vraie batterie ? Certes ces samples ne s'offraient que sous la forme de simples 'sons', non articulés dans une ligne mélodique et/ou rhytmique. Je n'ai jamais fait usage de 'boucles' (loops) dans mes oeuvres personnelles. Mais par la simple utilisation de samples jugés 'élémentaires', dont la vocation première n'était pas de me fournir du son, j'initiais l'acte d'appropriation de la performance de quelqu'un d'autre, le détournement de de la captation de son jeu, de son toucher, donc de sa sensibilité artistique; acte qui s'est mué en véritable cannibalisme - je pèse mes mots - toutes les fois qu'un ensemble mélodiquement ou rhytmiquement écrit, orchestré, répété, joué, enregistré, mixé, mastérisé et gravé était utilisé en tout ou partie dans une oeuvre ultérieure.

••• On n'imaginait pas qu'un extrait de film d'Hitchcock puisse jamais servir d'ossature à un film de David Lynch. Mais en musique, c'était devenu non seulement possible, mais encore courant, voire la condition sine qua non de la modernité. Les musiciens samplés finirent même a y voir une source additionelle de revenus: le CD-ROM de samples régnait dans les studios, grands et petits. Tout un mouvement musical était né sur cet usage particulier du sampling, rendant tout autre usage artistique du sampling quasi-marginal. Et pourtant, la transaction 'légale' via l'achat du CD-ROM - ou l'obtention de la licence d'utilisation d'un extrait d'enregistrement sonore - n'a jamais pu occulter l'évidence: il y avait bel et bien prédation d'une oeuvre par une autre oeuvre, cette dernière se nourrisant 'physiquement' de la première, en tout ou partie, pour exister (contrairement au 'cover' ou ré-interpretation, qui ne se nourrit 'que' sur l'idée). C'était vrai hier, et cela demeure vrai chaque fois que cela se produit, quelque soient le talent et l'inventivité de ce qui peut en résulter.

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Sun, Jan 3, 2010

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